Perpétuité et après Un livre d'Alain Cazuc
Comme échouée sur le rivage d’un des nombreux étangs qui bordent le littoral languedocien, gît une prison pour femmes où le temps semble s’étirer à l’extrême. Pour Émilie, une des détenues, la notion même de temps s’est évanouie. Condamnée jadis à la perpétuité, elle vit un quotidien sans projet et a fini par s’en accommoder. L’arrivée d’une nouvelle directrice va changer la donne. La prison a besoin de places et Emilie va devoir sortir. Encore faut-il qu’elle le veuille ! À soixante-dix ans, où aller et que faire quand plus personne ne vous attend ? Le livre est librement inspiré d’un fait divers : aux États-Unis, dans les années 1980, une détenue a fait un procès à l’administration parce qu’elle refusait sa libération. Au-delà des tribulations parfois tragiques, parfois drôles, d’Émilie et de ses codétenues, l’ouvrage amorce une réflexion sur la prison, lieu censé générer une souffrance rédemptrice et sur le besoin vital chez l’humain de construire, où qu’il soit, un univers de repères. Alain Cazuc est un réalisateur de documentaires et de plateaux ayant travaillé pour la télévision : TF1, F2, F3, la 5, arte. Ce livre est son troisième ouvrage publié par aum ÉDITIONS après « Chroniques de la veille », monographie sur le village de Monoblet et « Le vent de cristal », roman. Situé en un lieu imaginaire, au bord d’un des étangs qui se trouvent au sud de Montpellier, « Perpétuité et après » constitue le deuxième volet d’une trilogie languedocienne.
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 Nulle part ailleurs on n’écoute les bruits comme ça, surtout la nuit. Tu entends ce bourdonnement sourd ? Écoute bien… C’est faible mais ça n’arrête jamais, surtout en été. C’est la rumeur de l’autoroute qui emmène les camions et les vacanciers vers l’Espagne. Et tiens, il y a un autre bruit plus grave qui enfle. Ça, c’est un train de marchandises ; les TGV, c’est plus, comment dire… Ça siffle plus. …… Elle attendait avec une impatience qui lui faisait trembler les mains les premiers jours de mai. Elle guettait l’arrivée des papillons virtuels. C’était un moment de l’année où le soleil, dans sa course sur l’arc du ciel, dardait ses rayons sur l’étang voisin selon un angle particulier. La lumière s’imprégnait des clapotis et des ressacs et rebondissait pour s’infiltrer par la fenêtre ouverte et se projeter au plafond de sa cellule. Elle ne se lassait jamais de contempler ce fourmillement furtif et sériel de blafardes vanesses. …… Il plut trois jours de suite, à flots continus soutenus par le vent marin. Elle pensa à toutes ces eaux impétueuses qui dévalaient des Cévennes et risquaient d’inonder les villages de la plaine et même les alentours de la prison. Elle se faisait du souci surtout pour les détenues qui seraient ainsi privées de parloir. Mais Émilie appréciait que l’air eût fraîchi et changé d’odeur. Les senteurs iodées avaient pris la place des remugles acides des joncs pourrissants. Le soleil revint aussi soudainement qu’il avait fui. Et comme né de la dernière pluie, un avocat se présenta. …… Dérive : aileron mobile placé dans l’axe de la coque d’un voilier pour l’empêcher de dériver. Voilà, se dit Émilie. Cécile, Nadia et d’autres peuvent dériver, mais je peux être leur dérive, cette écharde plantée dans la chair de la prison qui, par mon réconfort et mes conseils, les retient dans leur possibilité d’errance. Tous ces mots avaient du goût, le goût salé des embruns sur sa peau d’enfant. Et elle pensa que sa jeunesse maritime avait été le plus beau moment de sa vie. Avec un soupir, elle alla ranger le dictionnaire.

15 €

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